La revue d’affaires

Dans les figures imposées de l’activité du manager commercial on trouve la sacro-sainte revue d’affaires sous-tendue par cette question « Allons-nous faire nos chiffres ? ». Cette revue de pipe est à l’activité commerciale ce que le détartrage est à l’hygiène buccale. Si certains commerciaux admettent son utilité, la plupart préfèrerait considérer que leur brossage de dents quotidien fait largement l’affaire. Oui, mais non. Le tartre du commercial ce sont les lunettes roses du débutant qui idéalise son dossier ou les raccourcis que prennent les plus expérimentés… Le tartre attaque même le pipeline des meilleurs. Alors avant de rire jaune au moment du closing, je vous propose de passer en revue quelques biais qui viennent entacher l’efficacité de cette revue et partager un élément clés de succès.

Bien sûr la revue de business repose sur des techniques : le questionnement, la priorité donnée aux faits et au cycle d’achat du client, la posture du manager-coach, le processus des 4A … Mais ce n’est pas de le sujet de notre article. Au-delà de ces savoir-faire essentiels, il existe un facteur clé de succès de la business review. Avant de l’évoquer examinons d’abord les symptômes que l’on observe dans ces réunions et qui doivent nous alerter sur la nécessité de faire autrement. Nous avons appelé ces symptômes des scénarios. Ils ont au nombre de 4 mais cette liste est loin d’être exhaustive.

1 – « Ombre et brouillard »

Nous vous proposons tout d’abord le scenario « Ombre et brouillard ». Là, on est dans du grand classique. Vous l’avez compris le commercial piétine frénétiquement un soufflet duquel s’échappe des bouffées de fumée visant à obstruer la visibilité de son manager.

Ces longues nappes prennent la forme de phrases vides de sens n’ayant qu’une finalité : la dissimulation d’un pipe mal qualifié ou d’une grosse mauvaise nouvelle.

Plusieurs variantes : l’attachement extrême au détail, la circonvolution ou encore le partage de sentiments, d’impressions. Résultat : quand le mur surgit du néant, il est trop tard pour l’éviter et c’est le taux de transformation qui s’effondre.

2 – « Dis-moi ce que tu as envie d’entendre »

Le second scenario perver s’appelle le « dis-moi ce que tu as envie d’entendre ». Le sergent de la caserne demande à ses hommes attablés « Alors, elle est bonne cette soupe !? » et la troupe de répondre d’une seule voix « Oui-chef ! ». Toute la troupe sauf le rookie qui a décidé par honnêteté, ou par goût pour les sports extrêmes (le diagnostic fait encore débat) de répondre « Non, elle pas super bonne la soupe chef ». Le gradé se tourne vers l’inconscient et dans un silence glacé lui assène « Je ne vous ai pas demandé si elle n’était pas bonne la soupe, je vous ai demandé si elle était bonne !!! ».

Sans tomber dans la caricature du sergent de caserne, certains leaders ne laissent pas à leurs commerciaux la place ni la liberté d’annoncer les mauvaises nouvelles. Par peur d’une grosse soufflante, les risques et les alertes sont mises sous le tapis. Résultat, quand les problèmes sont découverts il est déjà trop tard pour les régler.

3 – « Jusque là tout va bien »

Le « jusque là tout va bien » (phrase célèbre hurlée par celui qui passe devant chaque étage de l’immeuble dont il vient de sauter).

À la différence du précédent, il s’agit là d’un comportement initié par certains commerciaux qui font le (mauvais) calcul suivant : « quitte à dire à mon chef que mon dossier est mort et que cette annonce sonne le glas d’une vie paisible et sereine, autant lui dire le plus tard possible ».

Ce sport homologué par la fédération de body-jumping (mais non couvert par son assurance) peut permettre de survivre quelques semestres dans les grandes structures matricielles, quelques semaines au mieux dans une start-up.

Résultat des courses, le pipeline est truffé d’opportunités zombies (elles ont l’air vivante mais elles sont déjà mortes). De fait le forecast perd 80% de sa valeur dans les derniers jours du closing. 

4 – « Je ne sais plus rien mais je dirai tout! »

Un dernier pour la route : le « je ne sais plus rien mais je dirai tout ! ». Le stress est l’ennemi de la réflexion. Le manager rafale ses questions, il recoupe, souligne les incohérences, challenge. En face, le commercial entre en surchauffe. Il ne sait plus rien… « C’est moi ou il fait chaud ici ?!… ». Le cerveau reptilien ou plus précisément l’amygdale, vient de prendre le poste de pilotage et les réponses deviennent vite incohérentes. Ces symptômes ont plus de chance d’être observés dans des revues d’affaires collectives lorsque le commercial est sous les regards croisés du manager et de ses pairs. Résultats : le commercial repart avec un plan d’actions qu’il aura lui-même du mal à comprendre quand il le relira à tête reposée.

Tous ces scénarios sont les symptômes d’un même mal : l’absence de climat de confiance.  Celle qui doit s’instaurer entre un manager et les membres de son équipe. Le commercial a même la tenace impression que cette revue pourrait le mettre en difficulté et que tout ce qu’il dira pourrait être retenu contre lui. De ce fait il développe certaines des stratégies que nous venons d’évoquer.

Parlons solution.

Sur quoi repose ce climat confiance entre un manager et ses commerciaux ? Quand on est à la fois celui qui récompense et qui sanctionne ? Celui qui à la fin de l’année fiscale décidera de qui reste et qui part ? Essayer de définir la confiance c’est – comme diraient nos amis anglo-saxons – tenter de clouer de la gelée au mur ! On a pourtant une formule qui, à défaut de solutionner le problème, a la vertu d’être un support à la réflexion. 

L’équation de la confiance :

  • Par Crédibilité, on évoque ici les compétences du manager. La revue d’affaires est au carrefour de plusieurs d’entre elles : compétences de contenu (il connaît les propositions de valeur, les problématiques métiers des client, l’écosystème partenaire, les concurrents…), compétences de processus (processus internes à l’entreprise, processus client, processus partenaire…), compétences de savoir-faire (questionnement, reformulation, créativité…). Son historique parle pour lui ou pas. Si une question se pose sur les compétences intrinsèques du manager à faire le job, il est probable que la confiance mettra du temps à s’instaurer.
  • Fiabilité : Difficile pour un manager d’être exigent sur le respect des engagements si il n’est pas lui même exemplaire sur ce point. Dire ce que l’on fait; faire ce que l’on dit. Les engagements non tenus sont autant de coups de canif dans le contrat tacite qui lie un leader à son équipe. Cette fiabilité s’exprime de façon flagrante quand les choses se compliquent. Quand il faut monter au créneau en interne ponctuellement pour défendre une demande que l’on a convenu avec son commercial. Quand le N+2 challenge le commercial sur un dossier visible, il peut compter sur la fiabilité de son manager pour faire face à côté de lui au challenge venu du dessus.
  • Proximité : Il faut comprendre cette notion comme la faculté à faire percevoir à ses vendeurs que l’on comprend ce qu’ils vivent. Cette proximité pour être opérante doit se faire avec la distance qui permet de de garder un point de vue externe. Une revue de pipe se fait idéalement assis à côté de son collaborateur et non devant (au moins dans l’esprit). On est dans le même bateau. Cette proximité n’est pas incompatible avec le recadrage et la fermeté. Les métiers de la vente sont des métiers à fortes émotions. Sans rien lâcher sur le fond, le collaborateur et le manager doivent se sentir autoriser à partager leurs inquiétudes. Ce partage si il est réciproque et ne détourne pas l’exercice de son objectif; devient alors productif.

Et enfin, le dénominateur de notre équation, l’individualisme : Toutes ces qualités peuvent être mises à mal par l’attitude d’un manager un peu top nombriliste. De fait, le commercial a la furieuse impression que son chef est surtout intéressé par son image de marque, son bonus ou sa promotion.

Cela peut être une bonne idée pour un manager de montrer dans les faits que le succès et le développement de l’équipe comptent aussi pour lui. Sans tomber dans une démagogie molle et suspecte, avoir un discours sur le développement de son équipe c’est bien et y croire c’est encore mieux.

Le propre de la confiance est qu’elle est souvent lente à construire mais se perd très rapidement. Le propos n’est pas de dire que sans confiance point de revue d’affaires. Parce que finalement, les commerciaux sont payés pour vendre et qu’ils le veuillent ou non, leur pérennité dans l’entreprise est liée à cette capacité. Mais instaurer la confiance présente au moins deux vertus.

La première est d’être un accélérateur de revue d’affaires. Les commerciaux ouvrent leurs livres plus vite. Ils divergent moins ; ils vont droit au but. La confiance redonne donc aux managers ce dont il manque le plus : du temps.

La deuxième vertu de la confiance est qu’elle change l’expérience et impacte la motivation du collaborateur. La confiance mutuelle est valorisante et il n’est pas rare de voir des commerciaux se mettre en quatre pour un manager en qui ils ont confiance et qui leur fait confiance en retour. 

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